
À la Banque de Maurice, l’onde de choc est déjà palpable. La démission du gouverneur est imminente, et son premier adjoint, Rajeev Hasnah, réputé loyal, se retrouve dans une position intenable. Nos investigations montrent qu’il n’a pas été un simple spectateur des crises internes de l’institution. Il a joué le rôle d’exécutant, au service d’un clan composé de Rama et Tevin Sithanen, dans plusieurs dossiers sensibles. Et ce rôle apparaît avec une netteté particulière dans l’affaire du projet de transformation digitale.
Transformation digitale de la BOM – Un projet stratégique enlisé
En 2020, la BOM signait avec Intellect Design Arena, un fournisseur indien de référence qui avait déjà accompagné des banques centrales comme celle de l’Inde, du Mozambique ou de Madagascar. L’objectif : remplacer un système vieux de 35 ans, sécuriser les opérations et placer l’institution sur les standards internationaux. Le projet était salué par le FMI et la Banque mondiale. Mais malgré environ Rs 350 millions déjà dépensés, il restait en suspens en 2024.
Nos sources expliquent ce retard par une gouvernance hésitante, des arbitrages contradictoires et une équipe interne en attente de décisions. Ce projet fut jusqu’alors confié à un haut cadre de la BOM, en la personne de Marjorie Pampusa. Elle présidait le Steering Committee chargé de superviser le développement et la mise en place de tout le système, mais sa lenteur et son incapacité à prendre des décisions ont tout fait dérailler. Un diagnostic externe, début 2025, a confirmé que le projet était bloqué pour des raisons de pilotage, et non pas techniques.
L’arrivée de Sanspeur et la relance
En décembre 2024, Gérard Sanspeur est nommé Second Deputy Governor. Dès janvier 2025, il fait réaliser un diagnostic, organise en avril un atelier stratégique avec Intellect, et nomme en mai un directeur de projet. Selon nos sources et les échanges que nous avons consultés, le prestataire était prêt à franchir la ligne d’arrivée. Il ne restait pas grand-chose pour terminer le projet.
Le sabotage de Hasnah
Il nous revient qu’en juin 2025, dans une réunion présidée par le gouverneur Rama Sithanen et devant une quinzaine de cadres, Rajeev Hasnah a déclaré que la solution d’Intellect représentait un “risque systémique” et a appelé à stopper le projet. Quelques semaines plus tard, il s’est retiré du comité de pilotage mais a repris le contrôle du Procurement, jusque-là confié à Sanspeur. Selon nos sources, ce changement s’est accompagné d’instructions contradictoires, de retards provoqués et d’un gel des ressources. Le projet fut ainsi vidé de sa dynamique.
Les manœuvres en coulisses
Dans un échange WhatsApp daté du 25 mars 2025, Tevin Sithanen écrit à Gérard Sanspeur : « Co-Founder One Infinity back on the island this weekend. We arrange meeting next week at your convenience re same ». Or, One Infinity est associé à Infinityflo Private Ltd, une société informatique indienne. Dans un autre échange WhatsApp entre Stéphane Adam de Menlo Park et Tevin Sithanen, ce dernier affirme être actionnaire de cette société. Ces éléments montrent que, pendant que le projet Intellect était bloqué de l’intérieur par Hasnah, des discussions externes étaient en cours pour positionner un autre acteur.
Un exécutant dans d’autres dossiers
Ce rôle d’exécutant ne s’est pas limité au numérique. Lorsque Sanspeur a refusé d’appliquer certaines recommandations de recrutements et de licenciements venues de Tevin Sithanen, la gestion des ressources humaines lui a été retirée pour être confiée à Hasnah. Même logique à la MIC, filiale de la BOM, où Sanspeur s’opposa à la vente de terrains qui auraient bénéficié à Sotravic, société liée à Rama Sithanen. Là encore, Hasnah, qui présidait le conseil d’administration de la MIC, a été perçu comme celui qui faisait avancer des dossiers pas uniquement dans l’intérêt de la BOM.
Un Conseil d’administration sous influence
Notre enquête montre que plusieurs membres du Conseil d’administration de la BOM ont été nommés sur recommandation de Rama Sithanen. Cette configuration soulève, selon des sources internes, un risque d’influence sur les décisions stratégiques.
Un constat accablant
L’addition est lourde : environ Rs 350 millions dépensés dans un projet toujours paralysé, une gouvernance minée par des influences externes, et un adjoint décrit par plusieurs interlocuteurs comme « la torpille d’un clan ». Un cadre choqué nous a même confié que, pour Hasnah, brûler Rs 350 millions n’était pas un problème puisque « la BOM pourra toujours imprimer de nouveaux billets ». Pour ce haut cadre, la présence de Hasnah à la BOM serait suicidaire, car elle laisserait les portes grandes ouvertes à Tevin et Rama Sithanen pour exercer leur influence et nuire à la stabilité et à l’indépendance de l’institution.
Aujourd’hui, il ne s’agit plus seulement de la responsabilité de Rajeev Hasnah. Pour beaucoup, la Banque ne pourra retrouver son indépendance et sa crédibilité que si le nettoyage va au-delà : à Hasnah, mais aussi au Conseil d’administration façonné par les recommandations de Rama Sithanen.