Ce qui s’annonçait comme un simple coup dur pour une banque de taille modeste est devenu un scandale de dimension nationale : Silver Bank, jadis positionnée comme acteur émergent du secteur bancaire mauricien, est aujourd’hui le symbole d’un effondrement orchestré — entre prêts toxiques, dépôts publics massifs et soupçons de fraude internationale.
Le 2 décembre 2025, au Parlement, le Premier ministre Navin Ramgoolam a détaillé l’ampleur du désastre. Ce dossier retrace l’histoire, les responsabilités, les pertes — et pose la question : qui paiera la facture ?
Silver Bank Limited est l’héritière de l’ancienne BanyanTree Bank Ltd. La reprise de cette banque — malgré ses antécédents — par une holding détenue majoritairement par une certaine Ginny Gupta (75 % du capital) avait déjà soulevé des interrogations. Selon des articles de presse, cette reprise intervenait alors qu’un homme d’affaires indien, Prateek Gupta, — époux de Ginny Gupta — était déjà visé par des allégations de fraude liées à des cargaisons de nickel pour le compte du géant du négoce des matières premières Trafigura Group.
Le 10 février 2023, Trafigura publie un communiqué annonçant qu’il avait subi une fraude massive — près de USD 577 millions — imputable à un « counterparty » lié à Prateek Gupta, via des cargaisons fictives de nickel.
Les sociétés liées à Gupta auraient bénéficié de prêts importants accordés par Silver Bank, souvent sans garanties solides — un montage dénoncé comme un système de “toxic loans” avec garanties fictives.
La Banque de Maurice (BoM) avait donc réagit : un communiqué officiel indique que, selon les déclarations de la direction de Silver Bank, celle-ci n’a « aucune exposition » aux sociétés incriminées, directement ou indirectement.
Le 13 février 2024, la BoM place Silver Bank sous conservatorship, nommant Arvindsingh K. Gokhool comme conservateur chargé de « préserver, protéger et récupérer les actifs de la banque ».
Cette mesure marque officiellement le début de la gestion publique de la faillite de la banque — avec pour objectif de protéger les déposants, dont des institutions publiques et parapubliques, et de tenter de recouvrer les créances accordées à tort.
Un audit interne, rendu public, a révélé l’ampleur des dégâts : Silver Bank aurait accumulé ≈ Rs 7,6 à 7,7 milliards de dettes non remboursées, réparties sur 55 emprunteurs (39 étrangers, 16 locaux).
Les sommes concernent notamment :
- des fonds publics (notamment le COVID-19 Projects Development Fund) : Rs 3 milliards ;
- des dépôts d’institutions publiques/parapubliques (municipalités, sociétés d’assurance, MHC, etc.) pour un total d’environ Rs 880 millions.
Lors de son intervention au Parlement le 2 décembre 2025, le Premier ministre a indiqué que la récupération, depuis la mise sous tutelle, est dérisoire : sur un portefeuille total de Rs 8,2 milliards, seules Rs 206,3 millions ont été recouvrées — soit environ 2,5 %.
Par ailleurs, les frais liés à la conservatorship sont jugés exorbitants : entre février 2024 et mars 2025, la banque a versé Rs 39,7 millions à la société de conseil/conservateur (via Grant Thornton), puis Rs 2,3 millions supplémentaires après le changement de structure administrative.
Le Premier ministre a également confirmé que « Rs 3,55 milliards provenant d’entités parapubliques avaient été déposées à la Silver Bank. »
À ce jour, plus de Rs 900 millions restent impayées à ces entités publiques.
Avec la mise sous tutelle et la révélation de l’exposition publique massive, le débat s’ouvre enfin. Des groupes de déposants ont saisi la Financial Crimes Commission (FCC) pour réclamer des comptes, y compris au niveau des anciens dirigeants de la BoM et des ministères des Finances.
Le gouvernement actuel, via le Premier ministre, a clairement mis en cause l’ancienne administration, invitant à une enquête rigoureuse. Mais, au-delà des déclarations, c’est la transparence des audits, la publication des listes d’emprunteurs, la traçabilité des flux financiers et la poursuite judiciaire des éventuels responsables qui permettront de rendre justice aux déposants, publics comme privés.