La nomination pressentie de Manou Bheenick à la présidence du conseil d’administration de la State Bank of Mauritius (SBM) se fait toujours attendre… Annoncée il y a déjà dix semaines, cette désignation semble retardée.
S’agit-il d’un blocage administratif ou d’une vieille rivalité qui freine cette nomination ?
Qui aura le dernier mot : le Premier ministre, le Dr Navin Ramgoolam, ou le gouverneur de la Banque de Maurice, Rama Sithanen ?
L’obstacle évoqué par le gouverneur de la Banque de Maurice — également président de la Financial Services Commission (FSC) — serait la compensation réclamée par Manou Bheenick à la Banque centrale pour les manquements dont il accuse cette dernière en tant qu’ancien employeur.
En effet, l’ancien gouverneur réclame des réparations pour le tort qu’il a subi à la suite de son limogeage brutal par l’ancien régime de l’Alliance Lepep en décembre 2014.
Selon des informations concordantes, Manou Bheenick aurait perçu la somme de Rs 56 millions de la Banque de Maurice, en vertu d’un accord validé devant la Cour suprême en août 2024.
Ce dénouement survient une décennie après son limogeage controversé, alors que l’institution bancaire soutenait fermement devant les tribunaux qu’aucune somme ne lui était due.
Pourtant, dès décembre 2014, Bheenick avait sollicité le versement intégral d’un montant logé dans un compte « suspense » au sein de la Banque centrale.
En l’absence d’une action judiciaire, il aurait été privé de ce paiement.
L’ancien gouverneur avait d’ailleurs engagé des poursuites contre la Banque de Maurice dès 2016, réclamant réparation pour les préjudices subis.
Toutefois, selon nos sources, Rama Sithanen estimerait que maintenir ce procès contre la Banque de Maurice serait incompatible avec les fonctions de président du conseil d’administration de la SBM.
D’où le refus de lui accorder la fameuse autorisation « Fit and Proper ».
Une autorisation normalement délivrée, à la demande d’une banque, par la Banque de Maurice, sans laquelle un dirigeant bancaire ne peut être nommé.
Dans le milieu, on n’hésite pas à dire que c’est un record quant au temps qu’un régulateur prend pour accorder une autorisation « Fit and Proper ».
Cette situation aurait provoqué un sérieux différend entre le gouverneur et son Deputy Governor, Gérard Sanspeur, qui ne serait pas sur la même longueur d’onde.
En mai dernier, sollicitée par la State Bank of Mauritius, l’ancien gouverneur Manou Bheenick aurait accepté la proposition d’occuper la présidence du conseil d’administration de cette banque.
Après les procédures internes, c’est vers la mi-mai que la SBM a soumis la demande d’approbation de son choix aux deux régulateurs : la Banque de Maurice et la Financial Services Commission.
Mais des réserves ont été émises à certains niveaux du côté de la Banque centrale.
Nos sources nous indiquent pourtant que Manou Bheenick n’a rien à se reprocher.
Il aurait agi dans les délais prescrits — soit deux ans — pour initier les procédures judiciaires depuis 2016 en vue de récupérer des salaires impayés et autres sommes dues, ainsi que la réparation des torts subis tant par lui que par ses proches suite à son licenciement immédiat et au lynchage public dont il aurait été victime à cette époque.
Un droit constitutionnel que Manou Bheenick peut exercer comme tout citoyen.
La vraie question reste donc : pourquoi Manou Bheenick est-il soumis à une telle extra due diligence, alors même que son parcours est exceptionnel ?
Pressenti pour la présidence de la SBM, Manou Bheenick n’est pas un inconnu du monde financier.
Selon nos sources, Manou Bheenick aurait même décliné dans un premier temps une proposition d’assumer de nouveau le poste de gouverneur de la Banque de Maurice — place qu’occupe Rama Sithanen actuellement.
Il a passé une quinzaine d’années comme directeur au ministère du Plan et du Développement économique (1980–1995), avant une incursion en politique en tant que ministre des Finances entre décembre 1995 et août 1996.
Ancien lauréat, il est titulaire d’une maîtrise en économie de l’Université d’Oxford.
Il a été nommé gouverneur de la Banque de Maurice en 2007, poste qu’il a occupé pendant trois mandats successifs.
Durant son mandat de dix ans, il aurait privilégié la discipline monétaire et une roupie juste, ménageant les besoins des consommateurs et ceux des exportateurs.
Pendant cette décennie, la valeur de la roupie mauricienne et l’inflation étaient sous contrôle — une orientation qui n’aurait pas fait plaisir à beaucoup.
Certaines institutions auraient même fait pression pour laisser la roupie se déprécier, afin de favoriser les exportations.
La fermeté de Manou Bheenick à la tête de la Banque de Maurice l’aurait mis en désaccord, d’ailleurs très médiatisé, avec le ministre des Finances de l’époque… qui n’était autre que l’actuel gouverneur, Rama Sithanen, et son état-major aux Finances.
Le Financial Times a fait les éloges de la gestion de Manou Bheenick à la tête de la Banque de Maurice.
Il a même été désigné « Central Bank Governor of the Year » par le prestigieux The Banker, en 2011, pour sa gestion de la roupie mauricienne pendant la crise mondiale entre 2008–2010, qui a fait des dégâts immenses dans d’autres pays.
Est-ce cette vieille rivalité qui plombe aujourd’hui sa nomination à la SBM ?
Un choix qui aurait pourtant été avalisé par le Premier ministre, le Dr Navin Ramgoolam.
Ce dernier pourrait bien être appelé à trancher si le blocage persiste.
Les jours et les heures à venir s’annoncent décisifs.