Après avoir renversé, en finale dimanche, le Russe Daniil Medvedev, l’Espagnol devient le joueur le plus titré de l’histoire en Grand Chelem.
Il fallait le voir, la tête dans son sac, les larmes aux yeux. Rafael Nadal venait de remporter, vendredi 28 janvier, contre l’Italien Matteo Berrettini, une demi-finale de Grand Chelem pour la 29e fois de sa carrière. En exprimant une joie de junior, c’était comme si aucun de ses immenses exploits passés n’avait existé. A l’issue de la finale, dimanche 30 janvier, contre Daniil Medvedev, l’émotion et le sourire étaient de nouveau au rendez-vous. La quête d’un 21e titre du Grand Chelem, un nouveau record, aide forcément à voir la vie du bon côté. Mais sur la Rod Laver Arena, ces deux dernières semaines, Nadal a vécu bien plus grand qu’un nouveau trophée pour sa vitrine personnelle. Le public a assisté à une renaissance, à un tour de magie.
Dans cette quête invraisemblable vers les sommets historiques, le trio Novak Djokovic-Roger Federer-Rafael Nadal nous a abreuvés d’aventures fantastiques, faites de grands moments et d’autres plus compliqués. Cependant, malgré les blessures des uns ou les feuilletons des autres, ni le Serbe, ni le Suisse n’ont peut-être connu d’aussi près la crainte de la fin. Federer s’y refuse encore, et Djokovic, toujours fringuant à 34 ans, a montré ces derniers mois qu’il était sans doute plus fort qu’il ne l’a jamais été. Avant de disputer cet Open d’Australie, Rafael Nadal, lui ne conjuguait plus le tennis au futur et à peine au présent.
Le colosse au pied d’argile a tenu bon
Il fallait le voir, le pied bandé, incapable de pouvoir donner la plénitude de ses moyens lors du quatrième set de la demi-finale de Roland-Garros le 11 juin dernier, après avoir offert, avec Novak Djokovic, ce que le tennis a fait de plus beau en 2021 pendant trois manches. Quelques semaines plus tard, le choc de la défaite portait désormais un nom : Muller-Weiss, un syndrome dégénératif d’un os du pied comparable à une arthrose. Le genre de saleté qui ne se guérit jamais complètement, mais avec laquelle on doit cohabiter.
La maladie lui a fait rater Wimbledon, les JO, puis l’US Open. “Mon corps a pris la décision“, expliquait-il alors. A 35 ans, Rafael Nadal était redevenu un simple mortel, légende au pied d’argile, au point de se demander s’il pourrait ne serait-ce qu’un jour être de nouveau “Rafa”, infatigable travailleur et impitoyable compétiteur. Après tout, le Majorquin vivait depuis 2005 avec ce mal lancinant et des douleurs chroniques.
Il fallait le voir, en béquilles, le 11 septembre dernier, après avoir reçu un traitement mystérieux à Barcelone. L’espoir de le voir à nouveau sur un court de tennis était là. Celui de le voir compétitif dès le premier grand tournoi de 2022 au terme d’un contre-la-montre face à son propre organisme, beaucoup moins. “Il n’y a pas longtemps, je n’étais pas capable de m’entraîner, expliquait le cinquième joueur mondial vendredi à Eurosport. Parfois, j’allais sur le court pour 20 minutes, 45 minutes, parfois zéro, d’autres fois 2 heures… Chaque jour était un problème. Chaque jour me faisait douter. Au bout du compte, pour être très honnête, pouvoir simplement rejouer au tennis, c’est plus important que de gagner le 21e Grand Chelem.”
Comme si cela ne suffisait pas, le bonheur de sa future présence en Australie fin décembre avait été terni par une contamination au Covid-19, limitant un peu plus encore sa préparation. Loin d’être idéal avant d’envisager le jour d’après, celui qui montrerait s’il pouvait encore faire face aux pointures.
Néanmoins, Nadal a rapidement pu un peu se rassurer, avec un premier titre à Melbourne début janvier. Alors que Novak Djokovic voyait les portes du pays se fermer sur ses doigts, l’Espagnol redevenait un client crédible pour le titre à l’Open d’Australie.
Il fallait le voir, dimanche dans une posture inhabituelle à bien des égards. Rarement, pour ne pas dire jamais, Rafael Nadal n’avait abordé une finale de Grand Chelem avec si peu de certitudes et une étiquette d’outsider. Un statut d’autant plus incongru pour quelqu’un en route vers le sommet des annales de son sport. L’homme en forme, pourtant, était bel et bien de l’autre côté du filet. Daniil Medvedev avait connu sa première finale de Majeur il y a un an et demi contre l’Espagnol à l’US Open, dans un affrontement épique, qui avait déjà laissé entrevoir le Russe comme le joueur le plus à même de perturber l’hégémonie des trois légendes.
Stop ou encore ?
“C’est difficile à croire pour les gens de l’extérieur, mais même pour ceux qui m’ont suivi au quotidien au cours des six derniers mois, c’est difficile de comprendre comment je peux jouer à ce niveau aujourd’hui”, expliquait, presque incrédule, Nadal. Pouvoir jouer à ce niveau mais même simplement jouer tout court, contre les meilleurs joueurs du monde, ça a un côté incroyable pour moi.“ “20 titres, 21, je ne crois pas que cela changera ma vie” insistait-il juste avant la finale pour le site officiel de l’Open d’Australie (contenu en anglais).
Cette vie est plus grande que l’histoire de son sport elle-même. Ce sacre inespéré n’est pas celui du Taureau de Manacor, bête des terrains assoiffée de victoires. C’est celui d’un prestidigitateur, qui a transformé une fin de carrière quasi annoncée en une happy end invraisemblable dont personne ne connaît encore réellement le terme. “C’était quasiment impossible, mais je n’aurais pas pu me pardonner de ne pas m’être battu jusqu’au bout, a-t-il admis sur le court après la finale. Daniil peut me battre, je peux perdre le match, mais je ne peux pas abandonner.”
Au final, un 22e triomphe dans son antre de la Porte d’Auteuil, où sa légende est déjà écrite, ne changerait peut-être pas tant que ça son existence.
Source: francetvinfo.fr