La Chine accuse le Canada d’avoir fait entrer le variant Omicron sur son territoire par le biais d’un colis. Représailles diplomatiques ou véritable constat scientifique ? Une chose est certaine: les relations entre Pékin et Ottawa sont au point mort alors que les experts expliquent que le virus ne peut survivre sur du papier que quelques minutes..
Moins de trois semaines avant le coup d’envoi des Jeux d’hiver, la Chine accuse le Canada d’être à l’origine de la propagation du variant Omicron sur son territoire. Le 11 janvier dernier, un résident de Pékin aurait contracté cette version du virus après avoir ouvert un courrier en provenance du pays de l’érable:
“La possibilité que la personne ait été infectée par le virus via le courrier international ne peut être exclue”, a déclaré Pang Xinghuo, le directeur adjoint du centre de contrôle et de prévention des maladies de Pékin au média d’État chinois, le Global Times.
Spécialiste des questions chinoises, Roromme Chantal estime “qu’il faut aller au-delà des problèmes entre le Canada et la Chine” pour comprendre cette déclaration de Pékin, que des experts canadiens jugent totalement infondée sur le plan scientifique. Le ministre fédéral de la Santé, Jean-Yves Duclos, l’a, lui, qualifiée “d’allégation extraordinaire”.
Le Canada, un bouc émissaire?
Pour Roromme Chantal, il s’agit bien d’une flèche décochée vers Ottawa dans un contexte très tendu entre les deux pays, mais la sortie s’inscrit également dans une stratégie plus large. “Le geste fait d’abord partie de la réponse du gouvernement chinois dans le cadre de ce qu’on a appelé la diplomatie des masques. Au début, la Chine a distribué massivement des masques aux États qui en avaient besoin”, rappelle-t-il.
“Pékin vise à réhabiliter son image à l’international après avoir été à l’origine de la pandémie. […] L’autre partie de la réponse chinoise consiste à détourner l’attention”, analyse le professeur de science politique à l’Université de Moncton.
Notre interlocuteur estime que le message de Pékin pourrait être moins destiné aux Canadiens qu’aux Chinois eux-mêmes, alors que des failles commencent à apparaître dans la gestion de la pandémie dans l’Empire du Milieu: “Les Chinois savent que ce genre d’accusation n’est pas pris très au sérieux en Occident.”
Et si, durant la pandémie, le modèle des démocraties occidentales a été vu comme “inefficace pour répondre aux nouveaux défis posés par le Covid-19, le modèle de gouvernance chinois a lui aussi été remis en question en Chine”, observe l’auteur du livre Comment la Chine conquiert le monde (Éd. Presses de l’Université de Montréal, 2020).
Riposte et contre-mesures
Le 8 décembre dernier, le Canada a emboîté le pas à Washington, Londres et Canberra en choisissant de retenir au sol des diplomates censés se rendre à Pékin pour les prochains Jeux d’hiver. En réponse à la décision de Washington, la Chine avait promis de riposter avec des “contre-mesures fortes”. Elle avait aussi qualifié de “farce” la démarche du Canada et du Royaume-Uni.
En réaction aux accusations de Pékin, Justin Trudeau, le Premier ministre fédéral, a laissé entendre que le gouvernement chinois pourrait bloquer l’accès à des athlètes canadiens en utilisant des tests de dépistage du Covid-19 plus sensibles que ceux en vigueur au Canada. En effet, les tests employés par la Chine peuvent détecter des infections remontant à plusieurs semaines, ce qui pourrait empêcher des sportifs déclarés négatifs de concourir.
“On continue de voir que la Chine cherche à jouer une diplomatie un peu forte avec le Canada […]. On veut que nos athlètes canadiens soient protégés de l’importation ou de l’exposition au virus d’autres athlètes, donc il est bon qu’il y ait des mesures en place. Mais s’il y a des préoccupations spécifiques par rapport aux tests, on va faire des suivis”, a averti Justin Trudeau via La Presse canadienne, le 19 janvier.
Rappelons que fin septembre 2021, deux Canadiens –Michael Spavor et Michael Kovrig– avaient été libérés par les autorités chinoises en échange du rapatriement de la directrice financière de Huawei, Meng Wanzhou.
Des relations au point mort
Le consultant en tourisme Michael Spavor et l’ex-diplomate Michael Kovrig avaient été arrêtés en Chine en décembre 2018 pour espionnage, un peu moins de deux semaines après l’interpellation à Vancouver de Mme Wanzhou. L’arrestation de Mme Wanzhou et la détention des “deux Michael” ont grandement contribué à détériorer les relations entre les deux pays, lesquelles se trouvent maintenant dans une impasse.
Pour Roromme Chantal, l’alignement du Canada sur les États-Unis face au défi chinois participe à dégrader toujours plus une situation qui, selon lui, “ne risque pas de s’améliorer de sitôt”:
“Le point de gravité de l’économie mondiale est en train de se déplacer vers l’Asie et ce que fait le Canada, c’est de tenir la tête à la Chine. […] Le Canada risque de s’aliéner un rôle crucial dans un ordre mondial émergent où la Chine se taille une place de choix […]. La façon dont réagit le Canada face à la Chine démontre un populisme diplomatique”, tacle le politologue.